Contre l'"in-différence", femmes, osons nous manifester ! (suite)


A partir de l'Occident, puis partout dans le monde, le MLF 68 met à nu le ressort profond des pratiques phallocrates - comme des idéologies les accompagnant - : à savoir l'appropriation par le patriarcat, entériné par les Etats, du corps sexué et gestant des femmes,
L'économie souterraine de la procréation (du "vivant-pensant-parlant", comme dit Antoinette Fouque), s'y trouve occultée dans sa réalité comme dans ses symboles et ses "signifiants".

Conquérir, pour les femmes, leur liberté sexuelle, leur libre disposition de leurs corps, leur droit à la contraception et à l'avortement légal et gratuit, c'est renverser les fondements des économies précédentes.
Révolution politique puisqu'il y est question du pouvoir exercé sur des humains : la moitié du monde.
Révolution éthique, puisqu'il s'agit des rapports concrets entre les individus et d'un bouleversement des valeurs.
Révolution civilisationnelle, puisqu'on entre dans d'autres modes et principes de vie, d'autres mœurs.
Révolution philosophique et même métaphysique, puisqu'on remet en cause des concepts ayant pris force de loi, telle l'opposition du Même et de l'Autre, de l'égalité et de la différence ; puisqu'une pensée du "Deux", de la "différence", du corps matériel et de l'immanence vient s'objecter à celle de "l'Un", du "supérieur", de "l'esprit" et de la "transcendance".

Un nouveau danger menace aujourd'hui ces conquêtes, celui d'un "universalisme abstrait" qui n'a de cesse de biffer la réalité "femmes" dans les mots, dans les concepts et - ce qui est plus grave - dans les
actes.
Paradoxalement : au moment où les femmes ont conquis un certain nombre de droits - encore insuffisants (par exemple : pas encore celui à la rue, à la nuit, à l'intégrité personnelle) - il deviendrait "indécent" de les désigner comme "femmes" - ce à quoi s'emploie la tentative de brouillage des genres des "
gender theories".
Femmes et hommes n'auraient plus de "sexe". Ils auraient seulement des "genres" indépendants du "sexe", et seuls vraiment déterminants. Etonnant recul de la matérialité qui reste pourtant criante, dans un déni du corps sexuel biologique et gestant.

Alléguons le nouveau vocabulaire du sexe et de la sexualité des glossaires
queer :
"Femme" (ou "fem") : personne de genre féminin, sans considération de son sexe.
Femelle : personne de sexe féminin, sans considération de son genre.
Homme : personne de genre masculin, sans considération de son sexe.
Mâle : personne de sexe masculin, sans considération de son genre.

Ce biffage dans les mots poursuit une tradition déjà vieille d'un demi-siècle : celle de l' "universalisme" de Simone de Beauvoir - dont se réclament ses émules modernes.
Le maillon métaphysique central de la théorie beauvoirienne consiste en l'affirmation que "la femme" est "l'Autre". L'autre de qui, de quoi ? Pas d'"Autre" sans rapport à un… étalon… "Même". Si "la femme" est l'Autre, le Même est "l'homme", lui qui fait de la femme son "autre".
Conséquence : "la femme" ne peut rejoindre l'universel qu'en niant sa différence. Qu'elle rejoigne la "transcendance" qui caractérise "l'homme" en abandonnant tout ce qui, en elle, relève de "l'immanence", c'est-à-dire, en dernier ressort, du corps, et surtout du corps gestant.

(Suite)

Séverine Auffret, philosophe | Ouvrages publiés  | Autres travaux | A paraitre | Textes | Liens | Agenda

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