Texte écrit pour le colloque "Femmes de mouvements, hier, aujourd'hui, pour demain 1968-2006" à la Sorbonne des samedi 4 novembre et dimanche 5 novembre 2006

Je n'ai pas participé (pour des raisons existentielles personnelles : j'étais alors en déplacement au Proche-Orient) aux débuts du MLF 68, mais je l'ai rallié en 1979 pour les raisons philosophiques, éthiques et politiques que je vais préciser.

Les luttes féministes furent une invention du XIXè siècle occidental, (en France, autour des révolutions successives : 1789, 1830, 1848, la Commune). Une longue
histoire des idées féministes les précède, dont j'ai déployé le fil dans mon séminaire à l'Université populaire de Caen. Cette histoire révèle que les idées misogynes ne sont pas éternelles.
Non seulement, la plus haute Antiquité qui nous soit lisible produit des idées féministes, mais en outre les théories misogynes les connaissent parfaitement, en connaissent l'argumentaire auquel elles répondent sous un autre argumentaire, destiné à justifier des pratiques phallocrates.

La présence de ces idées - sous des plumes féminines mais aussi masculines - dément l'idée admise par beaucoup, depuis Simone de Beauvoir, selon laquelle la misogynie s'ancrerait dans la "psychê" masculine censée universelle et "éternelle".
"Eternellement", le "premier sexe" aurait fait son "Autre" du "deuxième", par une sorte de coup de force dont les motivations sont obscures. Pourquoi en effet les femmes ne seraient-elles pas le "premier sexe", et n'auraient-elles pas fait leur "Autre" des individus du sexe masculin ? (Si tant est qu'il y ait, entre les sexes, un "premier" et un "deuxième".)
Si cette théorie était vraie, elle ne nous laisserait aucun espoir quant à un amendement de la situation, puisque "la psychê", déclarée immuable, n'a guère de chance de changer…
Heureusement, l'histoire dément ces schémas.

Des femmes se sont considérées - et furent considérées - comme des êtres humains à part entière, disposant librement de leur esprit et de leur corps, et participant de plein droit à tous les domaines de la culture humaine.
Ce ne fut pas chose facile ni commune, mais cela fut.
J'allègue la paradigmatique Sapphô de Mitylène : poète, musicienne, philosophe et enseignante ; Aspasie de Milet ; Hiparchia l'Athénienne ; Hypathie d'Alexandrie ; puis la cohorte des innombrables poètes, fabulistes, romancières, artistes, mystiques, guerrières, philosophes, depuis notre profond Moyen Âge jusqu'à nos Renaissances européennes ; jusqu'à nos révolutionnaires des divers continents qui se sont insurgées dans un féminisme historique et populaire ; et enfin celles qui se sont réveillées un beau matin de l'année 1968 en France, en Europe, en Amérique et bientôt partout dans le monde, en se disant qu'il était temps d'obtenir un réel
Habeas corpus au féminin, qui reconnaît le droit des femmes, partout dans le monde - conformément aux attendus de la Conférence de Pékin en 1995 - à "décider librement de leur sexualité et de leur santé sexuelle sans coercition, discrimination ni violence". Beau programme !
Il serait mortel pour nos libertés d'oublier cette immense histoire, de faire comme si l'on partait toujours de zéro, au lieu de s'appuyer sur les acquis antérieurs.

Mais continuité n'exclut pas
rupture.
C'est le rythme de tout ce mouvement.

(Suite)

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